Les Camps
Carnet de notes du Sous-Lieutenant Evariste Lemaire du 1er Régiment d'Infanterie (1er R.I.) 10 Mai 1940 – 20 Juin 1940

Vendredi 10 mai 5h
Alerte après plusieurs autres mais cette fois nous embarquons.
vers 14h arrivée à Banteux, vers 19h repas. Départ à 23h
11 mai
Passage à Cambrai vers 2h pendant une alerte aux avions. Arrivée à Prouvy Thiant vers 4h. Journée calme nombreuses alertes aux avions.
À 17h départ pour la Belgique ou les troupes françaises sont acclamées et ravitaillées en tabac. Voyage toute la nuit.
Dimanche 12 (Pentecôte)
vers 4h du matin arrivée à Mont-Saint-Guibert. Cantonnement à la papeterie. Départ des reconnaissances sur les positions.
7h départ vers la position avec les 2ème et 4ème sections. Martin et moi occupons la ferme de la grange à la dime, en première position où nous installons P.A
19h Nous sommes relevés par le commandant Lesaint et redescendons occuper d'autres emplacements pour la nuit.
13 mai
Nouveau changement : j'occupe avec ma section le talus en deçà de la voie ferrée. Journée assez calme.
14 mai
Matinée assez calme. L’après-midi bombardement intense par avion et artillerie. Notre artillerie répond mais aucun avion ami et l'avion de reconnaissance allemand nous survole sans cesse.
15 mercredi
Journée un peu plus calme que la veille mais l'ennemi s'installe de l'autre côté de la voie ferrée et commence à nous mitrailler. Vers 19h une mitrailleuse est repérée dans une maison et je cours pour obtenir de surprendre la maison par un tir de mortier ; les balles sifflent de tous côtés. Les mortiers sont déjà repliés car l'ordre de décrocher vient d'arriver. Je rejoins ma section et le décrochage de la compagnie s'effectue pour aller s'installer 5 km en arrière. Nous sommes les 2ème et 4ème sections et ne sommes pas certains de la [texte effacé sur 4 lignes]
Nous retrouvons le lieutenant Catteau, dans un village, nous nous installons pour dormir quelques heures, (il est 2h du matin).
jeudi 16
À 4h réveil. Le lieutenant Catteau part en reconnaissance et nous le suivons mais perdons sa trace : personne aux emplacements prévus : nous faisons demi-tour. Rencontrons le Général Ginaudet qui nous dit que le 1er se reforme à Glabais. Nous y allons (une quinzaine), personne à Glabais.
Nous rentrons dans les maisons pour récupérer des bicyclettes, bientôt chacun a la sienne et décidons de nous diriger vers Mons. Passage à Nivelle qui vient d'être bombardée et que l'on retrouve pleine de soldats de toutes armes. Je pose mon vélo pour me désaltérer, pendant ce temps, on me le vole
Je trouve vers 14h un camion qui récupère les éléments du 1er ; j'embarque pour arriver à 7h au nord de Nivelles à lillois- Wit. Je retrouve quelques hommes de la compagnie. Le colonel me charge de former un PH dans une ferme : j'ai 1 FM 8 fusils et 108 cartouches. Vers 16h le Cne de la Mhotte arrive avec quelques officiers du RI et des hommes. Nous nous installons alors en pleine nature pour aider le GRD à décrocher puis nous décrochons et marchons jusqu'à 1h du matin et nous reposons à Virginal.
Vendredi 17
Nous repartons pour arriver à Naast à 13h où nous retrouvons une grande partie du bataillon. Jaladon commande la compagnie. 2 sections sont formées avec les éléments de la compagnie. L'après-midi les Allemands arrivent. Nous prenons position pour nous replier 1h après et la marche continue. Arrêt vers 3h.
samedi 18
Je fais récupérer dans le village tous les outils pour l'installation. Contre-ordre on repart vers 7h arrivée près de Lens (Belgique). Le commandant est décidé à faire face et nous creusons. La journée se passe calme et la nuit.
Dimanche 19
Vers 2h nouveau décrochage nous marchons jusque 9h. Repas dans un bois. L'après-midi des camions nous prennent et nous rentrons en France pour nous installer à Frenes. Je suis dans une mn.
lundi 20
Le soir j'installe un G.Mesnil pour défendre le pont de l’Escaut.
Mardi 21
Vers 21h je change d'emplacement pour m'installer entre le village et Fort Massy (un bloc). Travail toute la nuit pour s'enterrer.
mercredi 22
L'installation continue. Emplacements d'armes sont reliés. Des abris couverts. C'est assez calme pour nous.
jeudi 23 vendredi 24 samedi 25
Le travail continue entre les bombardements (2 chaque jour) les obus tombent à quelques mètres des abris. Par miracle aucun blessé dans la section. Le ravitaillement est abondant car l'on vit sur les provisions laissées par les civils. Champagne à chaque repas. Le pain est rare car L'approvisionnement  du Régiment ne peut en fournir. On récupère la farine et le Btn fait faire du pain.
Dimanche 26
La nuit le chef Gransart occupe un av. poste : une maison à 500 m en avant. Il est relevé par 1 Gr Sgt Lemaire. Travaux presque nuls le matin à cause des bombardements qui n’arrêtent plus. L’après-midi je touche du barbelé pour poser la nuit.
A 16H ordre de repli sur Escautpont. Je protège avec la 3ème compagnie la retraite du Btn. Alors que l’on n’a pas vu d’ennemis en face, ils nous ont débordés et à chaque carrefour il faut traverser la fusillade, les FM installés de distance en distance protègent le repli. Au passage à niveau nous sommes mitraillés et je suis légèrement éraflé à la main. Nous atteignons les blocs, occupons une ferme ½ heure puis nous installons en haut d’un terril.
20H45 décrochage – traversée de la forêt de Raismes. St Amand est en feu.
Lundi 27
Orchies – Templeuve. Arrivée dans un bois l’après-midi. La roulante est là avec un repas, quelques heures de repos puis départ vers Boschep puis Cassel. Des camions sont partis mais n’ont pas pu prendre tout le monde. Nous partons à pied – passons à Loos mais il y a encombrement pour traverser la Deûle. Nous allons à Haubourdin garder un pont.
Mardi 28
J’ai dormi quelques heures dans un lit ; au matin un obus arrive et une partie du chalet s’écroule. Nous mangeons et départ vers Lille. Nous occupons l’école Trullin, école superbe. Je suis affecté à la 3éme Compagnie (avec Lecutiez) ou il n’y a plus d’officiers. Journée assez calme.
Mercredi 29
De temps en temps des obus arrivent sur le bâtiment. Des corvées récupèrent les vivres au bord de Lille.
Jeudi 30
Le bombardement s’accentue. Les artilleurs qui sont avec nous bien qu’ayant encore des obus brulent leurs pièces et se rendent. Il apparait que nous sommes encerclés et luttons à armes inégales. L’après-midi un obus tue le Cdt Le Coulteux. Le lieutenant Dancette est légèrement blessé à la tête. Le soir on entend chanter les Allemands installés de l’autre côté du terre-plein. Ils nous parlent par haut-parleur, nous menaçant d’une destruction totale si nous ne nous rendons pas. Délai : lendemain 6H.
Vendredi 31
Nous recevons un parlementaire. L’ordre est de tenir, le Cdt de Btn refuse de se rendre. Trêve d’une heure pour évacuer les civils, plusieurs centaines réfugiés dans les caves – puis le bombardement reprend : impossible de tenir au rez-de-chaussée.
Le 2éme Btn se rend la situation devient intenable, les munitions s’épuisent : le Cdt de Btn décide de se rendre vers 11H l’on cesse le feu, et nous nous rendons : nous sommes reçus très correctement et en somme mêmes un peu étonnés et dirigés sur la faculté de médecine en construction.
Triage des officiers et je quitte mes hommes, en pleurant, comme presque tous les officiers. Je suis fouillé, on prend même les couteaux mais le Colonel obtient que les officiers conservent leurs bagages exceptés jumelles, boussole, armes. On rend les couteaux. Réunion des officiers (une trentaine) par le Colonel. Il n’y a plus de 1er RI et c’est les larmes aux yeux que nous écoutons notre chef. Embarquement en camions pour faire un tour dans Lille et nous filmer – puis dirigés vers l’Exposition. Le pavillon des Auberges de la Jeunesse nous est affecté, nous mangeons et passons là la nuit.
1er Juin
Réveil départ 15 Km à pied puis camion, arrivée à Tournai. Coucher dans la prison.
2 Juin
Départ en camion jusque Ath ou nous touchons 1 pain pour trois, la première fois que nous avons de la nourriture. Puis 20 Km à pied à Enghien où nous occupons le collège St Augustin. Le soir distribution de pain – 2 pour 5.
3 Juin
Nous continuons notre installation – midi soupe aux pois et le soir un bout de saucisson. Ce sera le régime habituel.
4 – 5 – 6 Juin
Rien d’important. La nourriture insuffisante est complétée par le peu que nous pouvons faire acheter en ville. Deux fois par jour nous descendons dans la cour pour être comptés.
7 Juin
L’on demande les agriculteurs pour, parait-il, nous renvoyer cultiver nos propriétés. Est-ce vrai ? Je tente l’aventure. Nous sommes assez bien ravitaillés par l’extérieur et un bon repas au camp – soupe – saucisson.
8 Juin
RAS impossibilité de sortir en ville – un repas. On annonce pour le lendemain Dimanche le départ de tous excepté pour les agriculteurs.
Dimanche 9
4H ½ départ à pied des camarades. Quand les re-verrais-je ! Nous nous groupons 8 agriculteurs ou considérés tels. La journée est assez calme. Le soir on annonce notre départ pour le lendemain matin.
Lundi 10
Un mois que nous avons quitté Quernes.
Nous quittons Enghien en autocars 51 officiers au total. Le feldwebel, chef de convoi, permet un arrêt et buvons une bouteille de bière dans un café. Arrivée à Nivelles, cantonnement dans la prison. Soupe
Mardi 11
Jus et pain le matin. Départ vers midi pour la gare. Soupe sur le quai. Embarquement, nous sommes 27 dans un wagon à bestiaux. Le convoi part vers 2H1/2. Arrêts fréquents. Nous passons à Court St Etienne, à quelques Km de nos premières positions. Garage à Gembloux pour la nuit. Nous nous enchevêtrons tête aux pieds pour dormir, mal.
Mercredi 12
Nous repartons vers la Hollande. Passage à Eindhoven. Les civils apportent un peu de nourriture, fromage surtout, qui est partagé car nous n’avons rien touché depuis 24H. 18H La Croix Rouge distribue du pain et du café. Nous continuons acclamés par les Hollandais jusque Venlo gare frontière et à 20H30 nous passons la frontière allemande. Nouvelle nuit dans notre wagon.
Jeudi 13
Au réveil nous avons fait un bon trajet et passons bientôt à Munster.  Arrivée en gare de Meppen vers 11H et prenons la direction du camp de Versen. Nous retrouvons d’autres officiers entassés dans un baraquement. Vers 19H soupe qui a un affreux goût de pelure car les pomme de terre ne sont pas pelées. La nuit on s’étend pour dormir sur le plancher.
Vendredi 14
Le matin jus avec une tranche de pain. Midi soupe comme la veille. Soir 1/9 de pain avec une infusion.
Samedi 15
Une partie des officiers du baraquement partent : nous restons une cinquantaine. Le temps est brumeux et froid. On nous annonce que nous partirons le lendemain pour un camp en Saxe.
Dimanche 16
Le départ est remis. Messe en plein air. Le régime ne s’améliore pas mais c’est d’appétit que nous mangeons la soupe.
Lundi 17
Départ vers 7H pour la gare. Le temps est plus beau. Embarquement à Meppen : surprise : en 2ème classe, 5 par compartiment. Départ vers 12H, arrivée vers 15H à Dortmund. Jolie ville. De la gare nous prenons le tram pour le camp, près du cirque. Logement dans les tentes : heureusement il fait beau. Même régime qu’à Versen mais la soupe est meilleure.
Mardi 18
A 13H nous touchons des vivres pour 2 jours. 2/3 de pain et un morceau d’andouille. Vers 15H embarquement : wagons de voyageurs 3ème classe, 7 par compartiment. Nous sommes dirigés vers le Sud, passons à Leipzig : il y a contre ordre. Nous changeons de direction et 48H plus tard arrivons au camp de Westfalenhof (Westphalenhof) près de Stettin.
Jeudi 20
Nous nous installons dans des baraquements 48 dans chacune des 4 chambrées : lits à 3 étages. Ce n’est pas le grand confort. Le temps est beau.